Séminaire du CrAB - samedi 12 janvier - de 9h30 à 13h00
Inha - 2 rue Vivienne - Paris 2 (salle W. Benjamin - accès libre)
Morris Hirshfield, American Beauty, 1942, The Gael Mendelsohn Collection
Lorsqu'il
fonde la Compagnie de l'Art Brut en 1948, Jean Dubuffet s'intéresse
à des œuvres d'artistes que l'on rattache alors à l'« art
naïf ». Propos tenus sur le douanier Rousseau, André Bauchant
et Camille Bombois dans son Avant-projet
d'une conférence populaire sur la peinture
en 1945, collaboration avec Anatole Jakovsky, correspondance avec
Wilhelm Uhde au sujet de Séraphine Louis, présentation d’œuvres
d'Alphonse Benquet, de Clotilde Patard ou de Jean Stas au Foyer de
l'Art Brut puis lors de l'exposition L'Art
Brut préféré aux arts culturels
en 1949… : autant de textes, d'événements et d'archives qui
témoignent de l’intérêt de Dubuffet pour ce qui est catégorisé
par certains comme « art naïf ». Au même moment,
l'inventeur de l'art brut fréquente le milieu surréaliste, André
Breton et Victor Brauner en particulier. Le chef de file du mouvement
surréaliste se présentait alors comme le défenseur de ceux qu'il
qualifiait d'« autodidactes
dits naïfs » dans un texte
écrit durant l'exil outre-Atlantique. Quant au peintre du
Conglomeros,
on sait qu'il avait signalé à Dubuffet l'existence de l'ouvrage de
Sidney Janis, They taught themselves,
publié en 1942 à New York. On peut s'interroger sur la teneur de
ces échanges : ce qui se passait de l'autre côté de
l'Atlantique ne pouvait manquer d'influencer ces Européens avides de
mise en question.
Dès
lors, quel sens donner à l'éviction des « naïfs » de
la collection de l'Art Brut constituée par Dubuffet ? Pourquoi
la catégorie d'art naïf ne pouvait-elle se fondre dans ce corpus ?
Si l'histoire de l'art naïf croise celle de l'art brut, les notions
de brut
et de naïf
n'ont pas connu le même parcours théorique. Mais, dans quelle
mesure les discours construisant la catégorie d'art
naïf éclairent-ils la
« naissance » de l'art
brut ? Quel sens donner à la
notion de primitivité
qui apparaît régulièrement dans ces mêmes discours ? Telles
seront les questions lancées lors ce séminaire.
Dans
sa volonté de sonder les dynamiques à l’œuvre dans le contexte
de l'émergence du concept et de la collection de Dubuffet, le CrAB
invite deux jeunes chercheuses au travail. Leurs recherches portent
notamment sur les discours qui instrumentalisent les notions de
naïveté et
de primitivité
dans les années 1930, 1940 et 1950. Marion Alluchon prépare une
thèse en histoire de l'art à Paris I, sous la direction de Philippe
Dagen, interrogeant la réception de l'art naïf dans la première
moitié du XXe
siècle. Vanessa Noizet réalise un mémoire de Master 2 en histoire
de l'art à Paris IV, sous la direction d'Arnauld Pierre, sur la
relation qu'entretenaient Gaston Chaissac et Anatole Jakovsky.
PROGRAMME
***
Samedi 12 janvier, 9h30 – 13h
INHA – salle W.-Benjamin –
2, rue Vivienne – Paris 2
9h30 Introduction par Baptiste Brun et Céline
Delavaux
10h15 « Du folk art au self-taught :
la reconnaissance de l’art naïf aux États-Unis (1932-1942) »
par Marion
Alluchon, doctorante en histoire de
l'art à Paris I
11h00 pause
11h15 « Dans l’orbite de Gaston
Chaissac, l’homme orchestre
(1952) : Gaston Chaissac et Anatole Jakovsky au regard de
l’art brut et de l’art naïf » par Vanessa
Noizet, étudiante en M2 d'histoire
de l'art à Paris IV
12h00 débat
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« Du
folk art au self-taught : la reconnaissance de l’art naïf aux
Etats-Unis (1932-1942) » par Marion Alluchon, doctorante en
histoire de l'art à Paris I.
Suite à la
reconnaissance du Douanier Rousseau, de nombreux peintres
autodidactes, appartenant à la classe populaire et souvent
qualifiés, en raison de leur supposée inculture tant en matière de
techniques picturales que de connaissances en histoire de l’art, de
naïfs,
connurent, en France, un véritable succès. Mais si Henri Rousseau
fut d’abord consacré par l’avant-garde, en 1930 la
reconnaissance de cet art naïf bascule et ces primitifs
modernes
deviennent, aux yeux de critiques et historiens d’art français de
tendance plutôt réactionnaire et nationaliste, les hérauts du
retour à l’ordre en peinture. Essentiellement figuratives, leurs
œuvres sont vues comme les garantes naturelles, car primitives, d’un
néo-réalisme typiquement français et s’opposent ainsi aux
abstractions et au surréalisme contemporains.
A la même époque, la
scène artistique américaine découvre ses propres artistes naïfs.
C’est, en 1932 au MoMA, l’exposition « American Folk Art :
the Art of the Common Man », qui, rassemblant des artistes
actifs entre 1750 et 1900, inaugure de manière triomphale cette
reconnaissance. Suit en 1938 « Masters of Popular Painting ».
Puis, en 1942, alors que le MoMA présente la première rétrospective
que le Douanier Rousseau n’ait jamais eue, l’exposition « They
Taught Themselves. American Primitive Painters of the 20th Century »,
du collectionneur et futur galeriste Sidney Janis, à la Marie
Harriman Gallery de New York. Or, si en 1932 le folk art répond à
un discours identitaire national, le regard américain évolue. Et,
tandis qu’apparaissent des artistes autodidactes contemporains tels
Morris Hirshfield, l’appréhension de cet art naïf se déplace et
tend de plus en plus à l’intégrer au sein de l’art moderne.
Du folk
art
au self-taught,
de 1932 à 1942, notre communication tentera de montrer comment,
perçu d’abord comme un art mineur et spécifiquement national,
l’art naïf aux Etats-Unis devint un genre artistique à part
entière, au sein d’une histoire non plus nationale mais
internationale de
l’art. Nous
nous attacherons en particulier à relever comment le discours
américain diffère du discours français. Et en particulier
en
quoi la terminologie employée témoigne de spécificités dans la
manière d'appréhender les œuvres de ces « naïfs » de
part et d'autre de l'Atlantique.
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« Dans
l’orbite de Gaston
Chaissac, l’homme orchestre
(1952) :
Gaston Chaissac et Anatole Jakovsky au regard de l’art brut et de
l’art naïf » par Vanessa Noizet, étudiante en M2 d'histoire de l'art à Paris IV.
Gaston Chaissac,
l’homme orchestre,
plaquette due au critique d’art Anatole Jakovsky et publiée en
1952, est la première monographie consacrée au peintre éponyme. En
cinq chapitres, l’artiste est assimilé à une certaine histoire de
la modernité et se trouve parallèlement rejeté tant des rangs de
l’art brut que de l’art naïf.
Dans
un premier temps, cela n’a rien d’étonnant. L’écrit d’Anatole
Jakovsky s’inscrit au sein d’un contexte artistique particulier
qui se cristallise autour du malentendu réel existant entre Dubuffet
et Jakovsky quant à l’émergence de la notion d’ « art
brut » dans les années quarante.
Ensuite,
Gaston Chaissac n’apparaît pas comme un tenant de l’art naïf :
sa singularité se mesure alors à son indépendance artistique.
Aussi, l’argument de l’autodidactisme n’est pas pris en
considération pour différencier le peintre vendéen des créateurs
défendus ardemment par Jakovsky dès les années quarante.
À la lumière de
quelques écrits d’Anatole Jakovsky, échelonnés entre 1949 et
1981, nous tenterons dès lors d’éclairer le texte de 1952.
Nous
nous intéresserons notamment à La
Peinture naïve,
première monographie entièrement consacrée à cet art ;
ensuite au Lexique
des peintres naïfs du monde entier, qui
tente une fusion des notions d’art brut et d’art naïf ; à
Naive
Painting,
qui définit ce qu’est un artiste naïf ; enfin à
l’introduction du catalogue du Musée international d’art naïf
Anatole Jakovsky, qui entérine définitivement la position de
Jakovsky à l’égard de l’art naïf contre celle de Dubuffet et
de l’art brut.
Le
« cas Chaissac »
(Dieudonné, 2008),
s’il est effectivement l’illustration d’un dialogue à trois
interlocuteurs, peut également constituer un point de départ pour
aborder l’évolution du discours critique élaboré par Anatole
Jakovsky vis-à-vis de la peinture naïve.
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